Par Linda Gagnon, psychologue et consultante en CPE

Vous êtes l’éducatrice de Victor, 3 ans, et vous soupçonnez la présence d’un trouble du spectre de l’autisme.  Il a des comportements particuliers et nécessite des interventions spécifiques afin d’obtenir sa collaboration et limiter l’opposition ou les crises.  Il est un petit mystère pour vous.  Vous vous questionnez sur quel est votre rôle.  Vous ne voulez pas inquiéter les parents mais lorsqu’ils vous questionnent sur le développement de leur fils, vous donnez des réponses vagues de peur de faire des « vagues ».  Mauvaise stratégie…essayons d’y voir clair.

 

QUEL EST MON RÔLE?

Vous avez un rôle très important à jouer au niveau du dépistage du trouble du spectre de l’autisme.  Je répète du « DÉPISTAGE ».   La Direction du milieu de garde également.  Grâce à vos observations, Victor pourrait bénéficier de précieux services dès son jeune âge et développer des habiletés spécifiques, qui sans soutien ne pourront éclore.  Il est impératif que les observations soient partagées avec les parents, c’est votre responsabilité et celle du milieu de garde.

Certaines directions font appel à des professionnels qui peuvent soutenir le personnel éducateur dans les observations à réaliser, les interventions à mettre en place et dans la planification des rencontres auprès des parents.  D’autres milieu de garde ne bénéficient pas de ce type de soutien, ils ont tout de même un rôle à jouer. Dans les deux cas, il est recommandé que l’éducatrice note ses inquiétudes et préoccupations et que la Direction ou l’éducatrice rédige une courte lettre les énonçant afin de la remettre aux parents lors de la rencontre de partage d’informations.  Lorsqu’un professionnel participe à la démarche, il élaborera un rapport ou une lettre de référence.

Le fait de remettre une lettre aux parents est une étape très importante qui démontre le sérieux de vos préoccupations et qui leur permettra de consulter leur médecin ou d’autres professionnels en relayant l’information de façon juste.  Les parents sont parfois très envahis par différentes émotions lorsqu’on aborde les difficultés de leurs enfants et ne vont retenir qu’un certain pourcentage de l’information transmise.  Une information écrite est de mise.  Le milieu de garde peut indiquer dans les conclusions de la lettre qu’il recommande de discuter des éléments listés avec le médecin de famille de l’enfant ou d’autres professionnels et qu’il demeure disponible à répondre à toute question et à fournir des observations détaillées.

 

UN GUIDE POUR VOUS AIDER DANS LE DÉPISTAGE 

Sur quoi se baser pour organiser l’information?  Je vous propose de fureter sur Google et de consulter l’excellent guide suivant : « Signaux d’alarme – Guide de référence à l’usage des professionnels de la petite enfance d’Ottawa (guide Signaux d’alarme)».

« …un guide de référence visant à aider les professionnels de la petite enfance à déterminer s’il est nécessaire de conseiller aux familles ou aux tuteurs d’obtenir d’autres conseils, un dépistage, une évaluation et/ou un traitement pour leur enfant. 

Il n’est ni un outil d’évaluation ni un outil de diagnostic. Les renseignements contenus dans le guide Signaux d’alarme sont destinés aux professionnels travaillant auprès d’enfants jusqu’à l’âge de six ans (professionnels de la petite enfance). 

Bien que tous les efforts possibles aient été déployés pour assurer l’exactitude de ces renseignements, ceux-ci sont fournis « tels quels », sans garantie ni condition. Le guide Signaux d’alarme ne peut remplacer les conseils, l’évaluation et/ou le diagnostic bonne et due forme de professionnels formés pour évaluer adéquatement la croissance et le développement des nourrissons, des tout-petits et des jeunes enfants. Ce document vise à aider les professionnels de la petite enfance à déterminer à quel moment ils doivent discuter avec une famille de la nécessité d’obtenir des conseils et/ou un traitement. Il ne doit pas servir à établir de diagnostics ni à traiter de retards de croissance ou de développement apparents  ou d’autres besoins en matière de santé. 

Le guide Signaux d’alarme n’est ni un outil d’évaluation ni un outil de diagnostic. Il n’écarte pas la responsabilité du parent/tuteur de consulter son médecin de famille et/ou les professionnels appropriés. Le guide signaux d’alarme renvoie à des sites Web, à des ressources et à des documents créés » Voir intro du guide précité, Meilleur départ/Best Start Ottawa.  Édition 2016.

 

LEVER LES DRAPEAUX ROUGES

Votre rôle consiste à identifier aux parents les « drapeaux rouges ».  S’ils vous questionnent à savoir si cela serait possible que leur enfant soit autiste, soyez ferme que ce n’est pas votre rôle d’établir des diagnostics. Une de vos tâches consiste à relever des atypies au niveau du développement des enfants et de les communiquer aux parents.  Ils vont peut-être insister.  Répondez tout simplement que vous ne savez pas, mais que vous êtes préoccupée.  Point à la ligne.  Vous écoutez et vous répétez que malheureusement vous ne détenez pas l’expertise requise afin de répondre à leurs questions.

Les quatres catégories d’inquiétudes suivantes sont tirées du guide précité « Signaux d’alarme – Guide de référence à l’usage des professionnels de la petite enfance d’Ottawa » p. 78-79, Édition 2016.

 

INQUIÉTUDES SUR LE PLAN DE L’INTERACTION SOCIALE

  • Ne rend pas les sourires qu’on lui fait.
  • Établit de rares contacts visuels – regarde moins les gens dans les yeux, même s’il regarde parfois intensément les objets.
  • Manque d’engagement conjoint (p. ex. ne joue pas à faire « coucou » ).
  • Manque d’imitation (p. ex. ne fait pas au revoir de la main).
  • Manifeste peu d’attention, en donne et en partage peu et oriente peu celle des autres.
  • Accuse un retard dans les jeux d’imagination –ne joue pas à divers jeux spontanés de « faire semblant ».
  • Préfère jouer seul, s’intéresse moins aux autres enfants.
  • S’intéresse peu aux jeux interactifs.
  • Perte d’habiletés sociales ou régression sur ce plan avant l’âge de 36 mois.
  • Préfère faire les choses par lui-même plutôt que de demander de l’aide.
  • Salue les autres de façon maladroite ou ne leur prête pas attention .

 

INQUIÉTUDES SUR LE PLAN DE LA COMMUNICATION

  • Le langage apparaît tard ou est atypique.
  • Langage inhabituel – (écholalie), p. ex. répète des phrases entendues dans des films ou que d’autres personnes ont prononcées (plus que ce à quoi l’on s’attend dans le cadre d’un développement normal), utilisation répétitive de phrases, intonation étrange.
  • Ne répond pas toujours de la même façon ou ne répond pas à son nom ou à des directives (il est possible qu’il réponde à des sons mais pas au langage).
  • Moins grande capacité à compenser le retard de langage en faisant des gestes ou en pointant du doigt.
  • Ne comprend pas bien le langage (mots et gestes).
  • Perte d’habiletés du langage, en particulier entre 15 et 24 mois.
  • N’est pas capable de tenir une conversation.

 

INQUIÉTUDES SUR LE PLAN DU COMPORTEMENT

  • Mouvements répétitifs des mains et/ou du corps: remue ses doigts, bat des mains et des bras, raidit ses doigts, fait des mouvements complexes du corps comme tournoyer et sauter.
  • A des accès de colère intenses et répétés parce qu’une routine ou un comportement répétitif sont interrompus, ou sans cause ou élément déclencheur apparents.
  • A des intérêts sensoriels inhabituels: louche ou regarde les objets du coin de l’œil; sent, lèche, met les objets dans sa bouche (passé l’âge de 3ans); a une ouïe hypersensible.
  • A une gamme très limitée d’intérêts auxquels il se livre de façon répétitive.
  • Insiste pour garder les mêmes routines, activités, vêtements, etc.
  • Prête une attention inhabituelle à certains objets (comme les interrupteurs de lumière, les ventilateurs, les objets qui tournent, les stores verticaux, les roues et les balles).
  • Réagit de façon inhabituelle à la douleur (seuil de tolérance bas ou élevé).

 

HABILETÉS CONCERNANT L’ALIMENTATION ET HABILETÉS CONNEXES

  • Bébé, il met rarement les jouets dans sa bouche pour les explorer.
  • À l’âge de un an, il ne montre aucun désir de lécher le gâteau d’anniversaire ou d’y goûter.
  • Refuse de se brosser les dents.
  • Entre 15 et 18 mois, il se détourne de nombreux aliments qu’il acceptait auparavant.
  • Éprouve des difficultés avec les nouvelles textures; a en particulier du mal à délaisser les purées pour manger la même nourriture que le reste de la famille.
  • Refuse de manger des aliments nouveaux même s’ils sont adaptés à son développement et sont semblables à d’autres aliments qu’il accepte.
  • A tendance à ne manger que les aliments qui sont blancs ou beiges.
  • Refuse de manger les aliments qu’il accepte normalement s’ils sont présentés d’une autre façon ou s’ils ne sont pas de la marque habituelle.
  • Refuse de toucher les aliments humides et est réticent à se nourrir par lui-même à la cuillère.

 

INFORMATIONS TRANSMISES AUX PARENTS DE VICTOR

Tout d’abord, pas de discussion de corridor!!! Misère, non!  Il est recommandé de planifier une rencontre officielle en présence de la Direction, si cela est possible.  L’animation de la réunion est alors réalisée par la Direction. Je vous suggère d’amorcer la rencontre en vérifiant avec les parents s’ils ont des inquiétudes relativement au développement de leur enfant.  Bien les noter et les verser au dossier de l’enfant.

Voici ce que vous pourriez relever pour Victor lors d’une telle rencontre:

Observations et préoccupations

-Victor énonce peu de mots, il y a absence de phrases et la présence élevée de jargon.  À noter que fréquemment, lorsqu’il veut communiquer, il touche l’adulte et oriente son visage vers le sien ;

-Son jeu demeure presqu’exclusivement parallèle. Les échanges verbaux sont très rares avec ses camarades.  En comparaison avec les enfants de son groupe d’âge, il a très peu d’interactions sociales.  Le plus souvent Victor joue seul;

-Sans la présence de l’éducatrice-accompagnatrice, Victor frappe très souvent les autres, il est difficile d’identifier les déclencheurs.  Ses gestes apparaissent impulsifs et non en réaction à un geste d’un camarade.  L’ajout de l’éducatrice-accompagnatrice vise à encadrer ce type de gestes et à enseigner de nouvelles habiletés;

-Victor tient difficilement compte des émotions exprimées par ses compagnons;

-Victor se promène toute la journée avec un objet dans les mains.  Le plus souvent une petite voiture;

-Très faible réciprocité lors des échanges avec ses pairs ou les adultes.  La conversation semble à sens unique, il ne semble pas intéressé à entendre ce que l’autre a à raconter ou à poursuivre une discussion.

-Il décode difficilement les refus des autres qu’il aime chatouiller (faible inhibition);

-Il soutient faiblement le regard. Lorsqu’on lui parle ou qu’il nous demande quelque chose, il regarde comme à côté de notre visage;

 -Intérêt restreint très important pour les petites voitures;

-On n’observe pas  d’élaboration de scénarios dans ses jeux, même courts;

-Rigidité et opposition +++.  Victor ignore ou refuse fréquemment les consignes demandées;

-Difficultés très importantes à suivre les consignes s’adressant au groupe;

-Son attention est très faible.  Une consigne à la fois doit être transmise et exécutée. Il est distrait très facilement;

-Il marche et court sur la pointe des pieds;

-S’habiller et tracer à l’aide d’un crayon s’avère difficile;

 

RÉACTIONS DES PARENTS

Il faut s’attendre à différentes réactions de la part des parents.  Certains vont demeurer étonnés, figés, d’autres poseront des questions, pleurerons ou encore seront mécontent voire fâchés.  Des réactions normales, mais évidemment pouvant être difficiles à gérer.  Ces réactions font parties d’une première étape très importante pour eux et ne doivent en aucun temps vous remettre en question sur le bien-fondé de cette rencontre.  Victor a absolument besoin de vous pour signaler à ses parents les particularités de son développement, c’est votre responsabilité.  Par la suite, c’est la responsabilité du parent de poursuivre les investigations et du CPE de préciser les objectifs.  Chacun son rôle.