Je me présente, mon nom est Nancy.  Ma garderie a ouvert ses portes il y a 8 ans déjà.  Dans les prochaines lignes, je partagerai avec vous  mon expérience quant à ma compréhension du vécu de l’enfant lors de son adaptation au milieu de garde, un moment fréquemment redouté par les parents et les éducatrices.

Tout d’abord, lorsque je planifie l’arrivée d’un nouvel enfant au sein de mon groupe, je me remémore une activité de visualisation qui m’a aidé à effectuer un parallèle entre les émotions et réactions vécues par un enfant et celles qu’un adulte pourrait expérimenter s’il était confronté à une expérience similaire.   Cette visualisation fut réalisée dans le cadre d’une formation portant sur l’adaptation de l’enfant à son milieu de garde.  Puisque cet exercice m’a aidée à adopter un nouveau regard sur la réalité de l’enfant et de ses parents, je vous invite à vous y livrer à votre tour.

Imaginez qu’une supposément « grande amie » vous ait inscrite à un concours loufoque s’intitulant « Voici tes bagages, tu pars en voyage ».  Du jour au lendemain, toutes vos tâches sont prises en charge et en moins de deux vous vous retrouvez accueillie en Italie par un sympathique couple d’Italiens tout souriant accompagné de deux de leur tout aussi sympathique couples d’amis.  Le hic, c’est que vous ne parlez pas plus italien qu’eux parlent français.  Après une brève présentation, l’équipe de ce fabuleux concours s’éclipse en vous mentionnant qu’elle reviendra vous visiter « bientôt ».  Vous tenez dans vos bras, votre bagage, c’est-à-dire un sac que vous n’avez pas préparé vous-même.  Debout dans le portique, vous vous remémorez que vous ne disposez d’aucun moyen pour rejoindre les gens que vous aimez.  Vous devez patienter jusqu’à qu’ils communiquent avec vous.

1- Comment vous sentiriez-vous dans une telle situation?(Prenez le temps d’y répondre)

2- Quelles seraient vos réactions?

3- Les organisateurs de ce concours décident d’en modifier les paramètres.  Ils souhaitent rendre le séjour des participants des plus agréables. À votre avis, quelles actions la famille italienne devrait-elle poser avant votre arrivée et au cours de votre séjour?

Le processus d’adaptation : des émotions et des réactions variées
Cet exercice réalisé entre collègues a suscité des discussions animées.  Certaines ont souligné qu’elles seraient terrorisées, fâchées, anxieuses, énervées, gênée, etc., tandis que d’autres ont mentionné qu’elles ressentiraient de l’excitation, de la curiosité, du plaisir, de l’enthousiasme, etc.  Des participantes ont précisé que cela dépendrait de la longueur du séjour.  Après quelques jours, l’excitation reliée à la nouveauté céderait à l’inquiétude et à l’ennuie.

De cette réflexion a découlé certains constats.  Premièrement, puisque chacune de nous est différente, en raison de notre tempérament et de nos expériences passées, notre façon de nous adapter le sera tout autant.  Deuxièmement, les défis d’adaptation de ce concours saugrenu ressemblaient drôlement à ceux vécus par les tout-petits…   Plusieurs d’entre nous se sont exclamées : « C’est vrai que ce n’est pas facile. », « Pauvres petits chatons. », « L’enfant ne comprend pas ce qui lui arrive. », etc.   Pour ma part, nouvellement arrivée dans le métier, m’adaptant à mes nouvelles tâches, j’ai réalisé, au cours de l’intégration d’un enfant, que j’étais davantage préoccupée par mon propre stress que celui de l’enfant.

Une panoplie de stratégies pour réduire le stress
Par ailleurs, à la question portant sur les actions que la famille italienne devrait poser afin de réduire le stress du participant et faciliter son adaptation, les réponses ont été multiples.  Les unes ont parlé de l’importance de nous faire connaître à l’avance la destination et la famille d’accueil par le biais de photos, de films, d’appels téléphoniques, etc. Les autres ont mentionné l’importance : d’énoncer nos intérêts, de nous spécifier la longueur du séjour et de nous offrir des moyens pour rejoindre nos familles.  Puis, une des participantes s’est esclaffée : « Moi qui n’aime même pas les pâtes! ».  Imaginons que l’on nous serve, au cours des premières journées de notre arrivée, des plats que nous détestons…  Ainsi, il y a fort à parier que nous nous retrouverions à vivre cette aventure, non seulement avec un estomac noué, mais avec un estomac vide.  Rien pour faciliter la situation.

Être sensible aux défis à relever et aux deuils à vivre
Cette visualisation a permis à chacune des participantes d’identifier des éléments auxquels un adulte pourrait être amené à s’adapter ainsi que des pertes ou des deuils qu’il pourrait devoir surmonter.   La similitude avec la réalité des enfants s’avère frappante.  Parmi les défis à relever, nous retrouvons : s’acclimater à de nouvelles habitudes de vie, apprivoiser un nouveau langage, suivre de nouvelles routines, obtenir réponse à ses besoins, se familiariser à un nouvel environnement physique intérieur et extérieur et, non le moindre, créer de nouveaux liens avec différentes personnes.  Parmi les deuils, nous identifions apprendre à vivre sans les êtres chers : accepter d’attendre qu’ils se manifestent… Bref, nous comprenons que chacun des défis cités peut être abordé sous l’angle du deuil.

Dresser une liste des pertes ressenties
En ce qui a trait aux pertes vécues par l’enfant, je prends soin d’en dresser la liste afin de personnaliser mes interventions.  Ainsi, Florence s’ennuyait de son ancienne éducatrice, de ses anciens camarades et d’une petite amie avec qui elle s’amusait au parc, et ce presque tous les jours.  Par contre, Mathieu, qui venait tout juste d’aménager dans notre ville, s’ennuyait tout particulièrement de son frère aîné, qui avait débuté la maternelle, et de son grand-père, qui avait pour rôle de les ramener à la maison.  Je me souviens également que Mathieu me questionnait souvent au sujet de l’absence d’une cabane dans mon arbre, une cabane avec une cachette secrète.  Ce jeu,  présent à son ancien milieu de garde, lui manquait beaucoup.

Communiquer, c’est décodé
Au cours de la formation, je me souviens qu’une participante, se référant au voyage en Italie, s’est écriée : « Oui, mais au moins, habituellement, nous parlons la même langue que l’enfant. »  La formatrice avait insisté sur le fait que la langue ne représente qu’un des aspects de la communication.  En fait, dans notre rôle d’éducatrice, nous devons investir de façon, plus ou moins consciente, beaucoup de temps pour décoder les besoins, les réactions, les émotions et les comportements des enfants nouvellement accueillis.

Pourtant, pour l’enfant, il lui suffit d’adresser un regard ou une mimique à sa mère pour être compris, pour que celle-ci réponde à ses besoins.  Avec sa nouvelle éducatrice, tout est à recommencer.  Sans compter qu’il doit lui aussi se prêter au même exercice.  En effet, il lui faut apprendre à décoder les messages verbaux et non-verbaux de son éducatrice.  L’expressivité émotionnelle différant d’un adulte à l’autre, un enfant pourrait être amené à constater que sa mère parle fort lorsqu’elle est fâchée, tandis que son éducatrice parle fort lorsqu’elle est enjouée.

Pour terminer
Depuis que je m’efforce d’endosser le point de vue de chaque nouvel enfant que j’accueille, je ne suis plus à court de stratégies pour favoriser l’intégration.  Cette sensibilité accrue au vécu de l’enfant m’a amenée à tirer profit au maximum des stratégies telles que la fiche d’accueil, la rencontre avec les parents et l’élaboration d’un plan d’intégration personnalisé en présence des parents.  Je vous parlerai de ces stratégies en détail très bientôt.

Linda Gagnon
intervenante en petite enfance, consultante et formatrice