Sylvie Bourcier, intervenante en petite enfance
Mai  2011
www.aveclenfant.com

Plusieurs facteurs peuvent contribuer à la fatigue psychologique des éducatrices. L’environnement bruyant, l’espace restreint, les sollicitations incessantes des enfants, la nature multitâche du travail sont des stresseurs bien connus. Le statut social de la profession encore sous-estimé peut aussi influencer l’état d’esprit des éducatrices. D’ailleurs, les recherches démontrent que la qualité du travail et la satisfaction au travail sont liées à une juste rémunération. En effet, la satisfaction au travail est associée à un meilleur rendement et particulièrement à des relations de qualité avec les enfants.[1] Une éducatrice heureuse qui ressent un sentiment de satisfaction au travail, se sent compétente et cherche à mobiliser toutes ses ressources professionnelles pour répondre aux besoins des enfants. Certains facteurs organisationnels soit le nombre d’heures de travail parfois élevé, les conflits inévitables dans un contexte où le travail d’équipe requiert de multiples concessions, les conditions de travail parfois difficiles et dans certains cas l’absence de soutien et de feedback, peuvent aussi contribuer à l’épuisement des éducatrices.

Mais au-delà des éléments extrinsèques, il y a les facteurs liés à la personne et en particulier les pensées qu’elle entretient vis-à-vis de son travail. Guylaine Dion[2] a élaboré un modèle explicatif du burnout chez les éducatrices et prend en considération « l’appréhension cognitive ». Il s’agit des pensées que la personne rumine au sujet de son travail? Comment évalue-t-elle son contexte de travail? Comment se perçoit-elle? Se sent-elle apte à s’adapter aux conditions de travail dans lesquelles elle baigne? Quelles sont ses attentes personnelles, sa motivation? Sa capacité à s’ajuster est-elle altérée par des événements personnels stressants? Se sent-elle épaulée, reconnait-elle les ressources extérieures mises à sa disposition? Entretient-elle de fausses croyances par rapport à son rôle ou par rapport aux enfants et leur famille? Notre perception du contexte de travail, de l’enfant et de sa famille, de l’équipe détermine notre comportement et influence notre sentiment de compétence personnelle. Sylvie Dubé[3] soulève cette réalité du modèle mental, alimenté par de fausses croyances.

Si je pense que je peux contrôler les autres, je me place en lutte de pouvoir. Je veux à la place des parents, de l’enfant. La réalité étant que le seul réel pouvoir que je peux exercer est sur moi-même, j’en viens à en vouloir à ceux qui ne répondent pas à ma tentative de contrôle. Rapidement, la colère émerge de cette relation. Seul le pouvoir d’influence peut agir sur les enfants et ce d’abord et avant tout dans la relation et par une approche incitative et non répressive.

Si je suis convaincue que ce sont les enfants qui me mettent en colère ou qui m’attristent, je personnalise les problèmes et me sent mal aimée injustement. Il est certes difficile d’être à l’écoute de la colère de l’enfant sans répondre au contenu. Mais il ne faut pas oublier que l’enfant libère un message, il exprime un besoin ou un sentiment et s’il le fait c’est qu’il vous fait confiance. Ce n’est pas contre vous mais bien pour lui, pour se libérer qu’il exprime cette hostilité ou cette grande tristesse. Il faut toujours s’interroger sur notre interprétation de la situation.

Si je pense « c’est la faute des parents, les enfants sont mal élevés », cela peut indiquer que je me sens impuissante à modifier les attitudes parentales. Mais est-ce vraiment nécessaires? N’est-ce pas là des attentes d’une grande prétention? Le pessimisme peut devenir la voie d’évitement à l’engagement et une fausse justification de la démission face à certains enfants. Certes la cohérence éducative issue de la collaboration avec les parents, est un gage de succès d’un plan de soutien au développement mais l’apport professionnel de l’éducatrice auprès de l’enfant demeure significatif. Cesser d’y croire c’est aussi cesser de croire au potentiel de croissance de l’enfant.

Si je pense je dois faire telle ou telle chose qui va à l’encontre de mes valeurs parce que « je n’ai pas le choix », je vis jour après jour en conflit avec moi-même. Renier ce que l’on est ou à ce que l’on croit nous fait vivre de nombreuses déceptions puisque nos besoins fondamentaux personnels sont négligés. Ce conflit intérieur mobilise beaucoup d’énergie psychique et épuise. Faire de bons choix pédagogiques, éducatifs en accord avec nos valeurs nous permet d’avoir une vie professionnelle satisfaisante. Si le milieu vous limite dans l’actualisation de votre potentiel professionnel, il est de votre responsabilité de l’exprimer, de l’influencer ou encore de le quitter.

Si je pense « j’ai de l’expérience, j’ai toujours agi de la sorte – si rien ne change c’est l’enfant qui est fautif », je suis confrontée à mes limites. Au-delà de l’expérience, de l’intuitif il y a des bases théoriques, des connaissances, la compréhension de l’enfant et de sa famille. Les trucs magiques, les façons de faire automatiques reprises et reprises auprès de différents enfants sont certes sécurisants pour l’adulte mais sont-ils adaptés à l’enfant devant nous, différent, unique? S’appuyer sur du connu, sans se remettre en question relève plus d’un sentiment d’impuissance de l’adulte que de la difficulté de l’enfant. Demander de l’aide, échanger sur vos perceptions des besoins de l’enfant, c’est faire preuve de professionnalisme et d’une bonne estime de soi.

Si je pense pauvre enfant et que ma tristesse envahit ma zone privée, m’habite au point que j’en parle à mes proches que j’y pense en me couchant, il est possible que je sois sympathique à la réalité de l’enfant parce qu’elle me rappelle la mienne (projection). Il y a alors décentration de l’enfant et bouleversement de l’adulte. Se connaître est donc un atout de taille.

Il faut être conscient des pensées récurrentes qui traversent notre esprit. Cette capacité d’introspection est essentielle puisqu’elle favorise l’empathie, la dépersonnalisation, l’humour, la reconnaissance de nos limites et celles du milieu, la demande d’aide, la réflexion et le recours aux connaissances[4]. Cette remise en question sert aussi à la reconnaissance de l’envahissement du professionnel sur le personnel et au recadrage de notre vie. Certes nous exerçons une profession qui donne un sens à notre vie mais en dehors du travail il y a nos enfants, notre famille, nosloisirs, nos passions. L’oublier c’est s’épuiser.

Ressources bibliographiques :

Conseil québécois sur l’apprentissage. Centre du Savoir. Pourquoi les services de garde de haute qualité sont-ils essentiels? www.ccl-cca.ca.

Pines, A.M., Aronson, E., Fafry, D. Burnout. Se vider dans la vie et au travail. 1982. Éditeur Le Jour, chap. 16. Les stratégies théocentriques au travail.

Apprentissage et socialisation. Burnout chez les éducatrices par Guylaine Dion, vol. 12, no. 4, décembre 1989, p. 205 à 215.

Dubé, S. (2009) La gestion des comportements en classe et si on regardait ça autrement? Chenelière Éducation (p. 3 à 16 – Notre modèle mental).

Gendreau, G. (1990) L’action psychoéducative Pour qui? Pourquoi? Éditions Fleurus. Pédagogie psychosociale.

Paci-raide. Commission Scolaire de la Beauce-Etchemin 2004 (p. 79) Raynald Gendreau. Les sentiments de l’intervenant.

Prochain article : Des antidotes au stress lié à la profession.

Sylvie Bourcier

 

 


[1] Conseil québécois sur l’apprentissage. Centre du Savoir. Pourquoi les services de garde de haute qualité sont-ils essentiels? www.ccl-cca.ca.

[2] Apprentissage et socialisation. Burnout chez les éducatrices par Guylaine Dion, vol. 12, no. 4, décembre 1989, p. 205 à 215.

[3] Dubé, S. (2009) La gestion des comportements en classe et si on regardait ça autrement? Chenelière Éducation (p. 3 à 16 – Notre modèle mental).

 

[4] Tiré de Paci-raide. Raynald Goudreau. Comment se protéger dans son travail, p. 81