De plus en plus d’enfants n’ont pas de vacances avec leurs parents.

De la négligence qui n’est pas sans conséquence

Ce matin, Isabelle accueille Simon et ses parents dans la cour extérieure de la garderie. C’est qu’il fait déjà beau et chaud en ce début d’été ! Simon boude, ne sourit pas et refuse de se joindre à son groupe d’amis. Plus tard, lorsque les enfants sont assis en cercle, Sébastien raconte ses vacances : les grenouilles du lac de grand-maman, le feu d’artifice, la promenade dans la forêt avec papa, cueillette de fraise et les déjeuners tardifs pris sur une nappe comme en pique-nique. Simon écoute puis, subitement, pousse Sébastien. L’agression est couronnée par une crise de larmes.

Des enfants fatigués

Simon est l’un des nombreux enfants qui fréquentent la garderie 52 semaines sur 52. Les parents disent qu’ainsi ils profitent mieux de leurs vacances. Les éducatrices en garderie et les intervenantes en petite enfance observent une augmentation du nombre d’enfants qui n’ont pas de vacances avec leurs parents. Ces enfants affichent des signes de fatigue, expriment leur intolérance par rapport aux autres par des coups ou des cris. Certains se réfugient dans un monde imaginaire et cherchent à s’isoler. Ils s’agitent près des fenêtres ou dans les corridors en fin de journée, ou examinent passivement les allées et venues des parents qui viennent chercher leur enfant après leur journée de travail. La vie trépidante et joyeuse de la garderie ne les passionne plus. On peut facilement comprendre leur épuisement en faisant un parallèle entre le milieu de garde et le milieu de travail. L’enfant, au même titre que l’adulte, y vit du stress. La vie de groupe génère du bruit, des cris, des pleurs, des demandes, de l’agitation : le fourmillement de tout ce petit monde crée un environnement sonore très irritant à la longue. La gestion du temps devient aussi une source de stress. Les routines nécessaires au fonctionnement de la vie de groupe et les horaires peuvent bousculer le rythme naturel de l’enfant. De plus, la vie de groupe représente de nombreux défis sociaux : vivre continuellement en compagnie de d’autres enfants demande des ajustements, des adaptations. L’enfant doit partager les objets, l’attention de l’éducatrice et l’espace, tolérer la proximité de l’autre, attendre son tour pour parler, se laver les mains, avoir un jouet ou une caresse à la sieste. Il doit freiner son impulsivité pour faire des compromis avec les amis. Lorsque l’enfant joue, il travaille. Les vacances lui permettent de se reposer de la vie de groupe de fonctionner à son rythme, de réduire son stress. Elles favorisent aussi les moments de rapprochement et de plaisirs partagés en famille.

Des enfants négligés

Être parent responsable, c’est bien plus que nourrir, vêtir et loger son enfant. La relation d’attachement ne se tisse pas que de soins physiques : il faut aussi du temps partagé dans le plaisir, la tendresse et la complicité. Le souvenir de mes petites mains enfarinées à côté de celles de ma mère et de l’odeur sucrée des biscuits ou celui de mes cris entremêlés aux rires de mon frère quand mon père jouait avec nous dans la piscine m’attendrissent toujours. L’évocation de ces moments en famille me réchauffe le cœur et me rappelle leur amour pour moi et celui que j’ai pour eux. Le temps passé en famille soutient l’existence affective de l’enfant. Les activités spéciales, les fêtes, les voyages, les excursions, les pauses-tendresse, les plaisirs simples, tout cela dessine l’imagier de l’histoire familiale. Etre inclus dans un projet de vacances permet à l’enfant de vivre un sentiment d’appartenance à sa famille. Mais avant tout, l’enfant se sent aimé puisqu’il est assez important pour faire partie des plaisirs des parents.

Beaucoup d’enfants vivent mal la pénurie de temps dans la famille. Ils ne profitent que très peu de la présence de leurs parents. L’Institut Vanier pour la famille a évalué que la famille canadienne moyenne a besoin de 77 heures de travail rémunéré pas semaine pour subvenir à ses besoins, sans compter le temps nécessaire pour s’acquitter des tâches ménagères. Dans ce contexte social peu propice à la famille, la période des vacances devient donc le moment privilégié des rapprochements familiaux.

Des parents surmenés

Mais comment expliquer ce manque de disponibilité pour l’enfant ? Sauf à de rares exceptions près, les enfants du Québec sont aimés par leurs parents. Ce n’est donc pas la relation d’attachement qui est en cause mais bien la disponibilité des parents. Généralement, ceux-ci connaissent les besoins d’attachement et d’appartenance de l’enfant à la famille. Dans le cadre du programme d’accès aux garderies à contribution réduite, le Ministère de l’enfant et de la famille a prévu quatre semaines de vacances annuelles, durant lesquelles la place de l’enfant est réservée dans la mesure où le parent paie 5$ de frais de garde par jour. Malgré tout, certains parents choisissent d’amener leur enfant à la garderie pendant cette période. La difficulté d’accorder des vacances aux enfants n’est donc pas d’ordre financier. Dans notre société, le bien-être personnel passe bien avant celui de la collectivité : nous avons le culte de l’individualisme. Certains parents surchargés de travail durant toute l’année imaginent difficilement pouvoir se reposer en compagnie de leur enfant. Pour eux, prendre soin de soi exclut parfois la responsabilité parentale.

Les parents stressés ont peu de temps à accorder à leur enfant. Après le travail, le repas, le lavage, les bains, ils sont exténués. Paradoxalement, c’est à travers les instants de plaisir partagé que le parent obtient le plus de satisfaction avec son enfant. La création d’une famille apporte de grandes joies si on investit dans ce lien d’amour.

Vivre des vacances en famille ne devrait pas être un geste d’abnégation ou de sacrifices continus mais plutôt un cadeau mutuel : le cadeau de s’épanouir ensemble. Il est possible de décrocher du travail, de se reposer en famille. La détente s’installe dans la flânerie du matin, les promenades au parc, la lecture d’un bon roman durant la sieste ou les jeux des petits. En priorisant la famille, le parent renonce à une tranquillité de couple ou de célibataire et choisit d’offrir la place qui revient à son enfant, une place près du cœur. Accorder du temps à ceux qu’on aime. La famille est un lieu d’apprentissage des valeurs. Durant mes jeux à la piscine, j’ai appris à respecter ceux qui craignent l’eau. En confectionnant des biscuits, j’ai appris le partage, la générosité. Prendre du temps avec notre enfant, c’est aussi lui donner l’occasion d’intégrer nos valeurs morales. Le manque de disponibilités des parents et l’absence de projets et d’activités familiales ont un effet négatif sur les enfants. Le réseau social qu’offrent les garderies n’est pas un antidote au sentiment de solitude que vivent certains d’entre eux, qui ne sont pas sûrs d’avoir une vraie place dans leur famille. À la longue, ils sont exaspérés par le groupe et souhaiteraient que leurs parents soient plus présents à la maison, plus disponible pour eux.

« C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui rend ta rose si importante. » (Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry)

Bonnes vacances avec vos petits!

Sylvie Bourcier intervenante en petite enfance retraitée !